Augmentation de la faim au Sahel: l’impact involontaire de la prévention de la COVID‑19

Alors que la COVID‑19 se répand dans la région africaine du Sahel, les menaces qui pèsent sur les populations les plus vulnérables se multiplient. Les sécheresses, la pénurie de ressources et les conflits violents causent des ravages dans les communautés depuis des années. Aujourd’hui, alors que les gouvernements sahéliens du Burkina Faso, du Mali et du Niger s’efforcent de mettre en place des mesures de confinement du virus, certaines politiques menacent, de façon non intentionnelle, la sécurité alimentaire de millions de personnes. Pour ceux très nombreux qui avaient déjà du mal à se procurer de la nourriture ou même à survivre avant la pandémie, l’impact du coronavirus a accentué la pénurie de ressources et les besoins humanitaires. 

Des mesures comme le confinement des communautés et les restrictions frontalières peuvent être efficaces pour endiguer le virus. Cependant, elles ont aussi immobilisé les économies, perturbé les chaînes d’approvisionnement alimentaire et causé des problèmes aux organisations humanitaires qui doivent trouver de nouvelles façons de rejoindre les populations dans le besoin. Les restrictions affectent les communautés qui dépendaient déjà de l’aide extérieure pour survivre. Mais aussi, elles font en sorte qu’un nombre accru de personnes ont besoin d’aide humanitaire, y compris celles qui doivent quitter leurs foyers en quête de nourriture ou d’autres débouchés. 

Une pandémie s’ajoute à une crise croissante

Depuis des années, des groupes armés déstabilisent le Burkina Faso, le Mali, et le Niger. Les résultats sont dévastateurs pour les populations de ces trois pays. Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) signale qu’environ le tiers des 61 millions d’habitants de la région a été affecté par la crise, et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estimait en mai 2020 qu’il y avait 1,2 million de déplacés au centre du Sahel. Toutefois, les véritables chiffres sont probablement plus élevés puisque l’insécurité qui règne dans plusieurs zones empêche les autorités d’effectuer des évaluations concluantes.

La pandémie aggrave des besoins humanitaires déjà croissants. Elle met à l’épreuve des communautés fragiles du Burkina Faso, du Mali et du Niger aux prises avec une gouvernance faible, des infrastructures déficientes, une pénurie de ressources et une insuffisance de financement humanitaire. Ces trois pays ont des systèmes de santé publique faibles et chroniquement sous-financés. Cela limite gravement leur capacité de surveiller, de contenir ou d’atténuer la dissémination du coronavirus. 

À ce jour, la dissémination du virus a été limitée. Au 4 juin 2020, il y avait 885 cas confirmés de COVID‑19 au Burkina Faso ; 1 461 au Mali ; et 961 au Niger. Cependant, les effets involontaires des mesures de confinement et des restrictions à la mobilité ont des incidences plus larges, voire plus importantes, sur le bien-être des populations locales. Les restrictions à la liberté individuelle de mouvement et le transport ralenti des biens ont déjà commencé à avoir des impacts négatifs sur les quatre dimensions de la sécurité alimentaire et de la nutrition : la disponibilité des aliments, l’accès économique et physique des gens à la nourriture, l’utilisation des aliments pour obtenir la santé nutritionnelle et la stabilité des sources de nourriture. 

Insécurité alimentaire préexistante

Le climat aride de la région du Sahel, la pauvreté généralisée et le taux de croissance élevé de la population nuisent déjà à l’accès des résidents à la nourriture. Même durant les années où les pluies sont abondantes et la production agricole est élevée, les Sahéliens sont extrêmement exposés à l’insécurité alimentaire. Les conflits continuels et les récents chocs climatiques, comme les sécheresses et les inondations, ont exacerbé cette vulnérabilité. 

En fait, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a sonné l’alarme concernant l’insécurité alimentaire au Sahel avant même que la pandémie soit déclarée. Plus tôt cette année, le PAM a fait savoir que 3,9 millions de personnes au Burkina Faso, au Mali et au Niger étaient en situation d’insécurité alimentaire. 

Aujourd’hui, la pandémie de coronavirus ajoute un facteur aggravant à cette situation. Les fermetures de frontières et les ordres de distanciation sociale imposés par les gouvernements pour empêcher la dissémination du virus ont entraîné des coupures dans les importations et dans la production intérieure, réduisant la disponibilité de nourriture. Pendant ce temps, la violence continue de faire rage, forçant les gens à quitter leurs foyers. Alors que commence la saison maigre (juin à septembre), on craint dans les trois pays que les populations locales doivent lutter pour se procurer même des quantités limitées d’aliments de base.

En mai 2020, le PAM signalait que le nombre total de personnes souffrant d’insécurité alimentaire au Sahel atteignait 4,8 millions en raison de la pandémie et des efforts pour maîtriser et ralentir la dissémination. Les experts préviennent maintenant qu’avec la poursuite de la crise sanitaire, ces chiffres pourraient doubler ou même tripler. Près de 2,5 millions d’enfants de moins de cinq ans sont déjà gravement atteints de malnutrition au Sahel. 

Impact des mesures préventives liées à la COVID‑19 

Moyens de subsistance 

Dans les régions de ces trois pays où les gouvernements imposent le confinement, les civils ne sont pas en mesure de se rendre au travail. Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, la plupart des gens travaillent dans le cadre de l’économie informelle. Les faibles salaires et les modestes épargnes font en sorte que ces gens dépendent de leurs moyens de subsistance pour leur survie quotidienne. Au Sahel, 25 millions de personnes travaillent dans l’industrie agropastorale. Les restrictions ont des effets catastrophiques sur les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire de ces gens et de leurs communautés. Les restrictions de mouvement éloignent les fermiers de leurs terres et les empêchent de livrer leurs produits alimentaires, ce qui ultimement les prive de leur principale source de revenus et de subsistance. Près de la moitié des pasteurs de la région ne peuvent plus se déplacer avec leurs troupeaux pour trouver des pâturages et des sources d’eau. Des travailleurs humanitaires ont déclaré à Refugees International que les éleveurs ont besoin d’assistance alimentaire non seulement pour eux et leurs familles, mais aussi pour les bêtes de leurs troupeaux. Les agriculteurs ne peuvent se rendre dans leurs champs, ce qui réduit leur accès personnel à la nourriture et la disponibilité de denrées offertes à la vente. 

Marchés  

L’accès régulier et suffisant à la nourriture est devenu presque impossible pour plusieurs Sahéliens. Dans bien des régions, les gouvernements ont ordonné la fermeture de plusieurs marchés afin de réduire la transmission du coronavirus, parce que ces marchés ne sont pas conformes aux règles de distanciation sociale. Des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) au Mali et au Niger ont confié à Refugees International que la diminution des approvisionnements qui en résulte a fait doubler le prix des aliments. La nourriture devient ainsi inabordable pour les nombreuses personnes qui ont perdu leurs sources de revenus parce qu’elles ne peuvent pas travailler durant la période de confinement. De plus, dans la plupart des communautés du Sahel, les gens doivent se rendre quotidiennement au marché parce qu’ils ne sont pas en mesure d’acheter en grande quantité. Plusieurs sont dans l’impossibilité de le faire puisqu’ils ne gagnent que ce qu’il faut pour survivre et qu’ils n’ont probablement pas de réfrigérateur pour conserver les denrées périssables. 

Les groupes d’aide utilisent fréquemment les transferts d’argent pour compléter – ou remplacer – les maigres revenus que plusieurs Sahéliens gagnent. Toutefois, la fermeture de plusieurs marchés et la perturbation de l’approvisionnement alimentaire rend encore plus difficile pour les bénéficiaires l’utilisation de cet argent pour l’achat d’aliments de base. Cette diminution des dépenses, en retour, atténue les retombées positives de la distribution d’argent observées généralement dans les économies locales et favorisant la croissance et l’emploi. De plus, les Sahéliens ont aussi moins d’accès à la distribution d’aide alimentaire en nature, puisque les consignes de distanciation physique réduisent le nombre de personnes que les organisations humanitaires peuvent atteindre au moyen de ces distributions. 

Chaînes d’approvisionnement

Enfin, les restrictions frontalières réduisent aussi la disponibilité de nourriture. Les gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont fermé la plupart de leurs frontières, suspendu les vols internationaux et restreint les déplacements intérieurs. Le transport des biens est censé être exempté des restrictions de déplacement. En avril 2020, l’Union africaine (UA) a publié la Déclaration sur la sécurité alimentaire et la nutrition durant la pandémie de COVID‑19, rédigée par les ministres africains de l’agriculture des pays membres de l’Union africaine. Dans cette déclaration, les États membres s’engagent à « travailler avec les commerçants et les transporteurs des filières alimentaires et agricoles, ainsi qu’avec les responsables d’autres secteurs et les pouvoirs publics locaux pour desserrer les goulets d’étranglement qui entravent la circulation dans des conditions de sécurité́ des personnes, des biens et des services essentiels pour le système ». 

Toutefois, des représentants d’ONG travaillant dans ces trois pays ont révélé à Refugees International que selon de nombreux rapports, les autorités forçaient plusieurs camions de transport de nourriture à s’immobiliser aux frontières durant plusieurs jours, causant la perte de la nourriture, ou les obligeaient à rebrousser chemin. L’interruption des chaînes d’approvisionnement ainsi causé fait en sorte que dans les marchés encore ouverts, les vendeurs sont incapables de garnir leurs étalages de nourriture et de biens. Confrontés à ces restrictions, les commerçants sont de plus en plus tentés de recourir à la contrebande. Durant des décennies, les groupes armés du Sahel ont immensément profité de la contrebande. Ces groupes en profitent donc davantage, et se renforcent durant la pandémie. 

Adapter les efforts humanitaires 

Tandis que les gens du Sahel sont privés de leurs moyens de subsistance, des milliers de personnes rejoignent les millions d’autres qui dépendaient déjà de l’aide humanitaire avant même la pandémie. Mais les fermetures nationales ont ralenti la livraison de l’aide humanitaire. Comme la fin de la pandémie n’est manifestement pas en vue, les gouvernements, les Nations Unies et les groupes d’aide vont devoir repenser leurs stratégies pour répondre aux besoins humanitaires des communautés de la région.

Les agences de l’ONU publient des lignes directrices révisées concernant la sécurité des interventions, et les groupes d’aide ont dit à Refugees International qu’ils s’adaptent en conséquence. Par exemple, plusieurs organisations travaillent ensemble pour effectuer des distributions multisectorielles, avec un personnel réduit, en limitant le nombre de personnes qui reçoivent les biens au même moment, en espaçant davantage les points de distribution et en répartissant leur travail sur un plus grand nombre de jours. Bien que ces mesures d’adaptation soient utiles pour préserver la santé publique, elles exigent plus de temps et d’argent. 

Les gouvernements nationaux et les groupes humanitaires doivent faire davantage pour contourner les obstacles logistiques occasionnés par les fermetures de frontières et les restrictions de mouvement. Les gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger doivent garantir que les transporteurs de nourriture ne seront pas bloqués ou ralentis, et que les membres de l’UA respecteront leur engagement de « desserrer les goulets d’étranglement » qui entravent la chaîne d’approvisionnement. De plus, les États du Sahel doivent assurer une coordination entre eux et avec les groupes d’aide pour établir des corridors humanitaires transfrontaliers et à l’intérieur des pays pour augmenter et accélérer l’approvisionnement en nourriture. Des rapports font état d’un corridor négocié au Niger pour permettre la circulation des biens depuis Niamey, la capitale, vers les régions rurales. Les gouvernements du Burkina Faso et du Mali devraient emprunter ce modèle là où c’est possible.

Une autre solution clé pour surmonter les limitations du transport est d’augmenter le financement des activités du Programme alimentaire mondial de l’ONU au Sahel. Cette agence joue plusieurs rôles critiques. D’abord, le PAM est la principale agence onusienne s’attaquant aux problèmes de sécurité alimentaire dans la région. Ensuite, elle coordonne la logistique humanitaire et la chaîne d’approvisionnement. Enfin, le Service aérien humanitaire de l’ONU (UNHAS) joue un rôle crucial pour surmonter les limitations d’accès en transportant par voie aérienne les marchandises vitales dans les différentes crises qui sévissent dans le monde. 

À la fin de mars 2020, David Beasley, directeur exécutif du PAM, a fait appel aux donateurs pour recueillir la somme de 1,9 milliard $ nécessaire à une intervention de trois mois en réponse à la COVID‑19 et à ses incidences sur la sécurité alimentaire. Cet appel à l’aide a été rapidement entendu par les États‑Unis, l’Allemagne, la Commission européenne, le Canada et la Suisse. Toutefois, il faut encore et au plus vite 811 millions $, et il en faudra davantage une fois que le financement de trois mois sera épuisé. De toutes les crises humanitaires dans le monde, les interventions du PAM au Burkina Faso et au Niger sont celles qui subissent la deuxième et la troisième pire pénurie de financement

Même avant la pandémie, ces pays recevaient peu de financement international pour répondre à leurs besoins énormes. Pour 2020, les plans de réponse humanitaire de ces trois pays demeurent gravement sous-financés – l’appel du Burkina Faso est financé à seulement 22 pour cent, celui du Mali à 26 pour cent et celui du Niger à tout juste 16 pour cent. À l’échelle mondiale, le Plan de réponse humanitaire COVID‑19 de l’ONU a reçu seulement 18 pour cent de son objectif de 6,7 milliards $. Ces lacunes de financement font en sorte que les organisations sont incapables de répondre aux besoins préexistants et rendent presque impossible la mise en œuvre de programmes plus onéreux adaptés à la pandémie. Un employé d’une ONG au Mali a expliqué à Refugees International, lors d’une entrevue téléphonique, que les organisations « savent quoi faire, mais que les ressources ne sont pas disponibles pour entreprendre un tel travail ». Les donateurs doivent s’attendre à ce que les Sahéliens ressentent les effets de l’épidémie de COVID‑19 dans les années à venir. Ils doivent donc en priorité combler ces lacunes de financement et fournir un financement à long terme flexible.  

Conclusion et recommandations 

Dans ces trois pays ravagés par les conflits, les efforts de lutte contre la COVID‑19 ont imposé un important tribut à l’activité économique, à la sécurité alimentaire et à la livraison d’aide. L’accès des populations du Sahel à la nourriture était précaire avant l’épidémie de coronavirus. Ces communautés doivent maintenant subir des menaces visant l’accès constant et suffisant à la nourriture, dans un contexte sécuritaire qui s’aggrave et en présence d’un virus mortel. Les perspectives sont sombres, à moins que l’accès à la nourriture et aux ressources soit fourni pour aider les groupes d’aide à rester en première ligne et à livrer l’aide nécessaire pour atténuer ces conséquences. 

Les gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger doivent :

  • Soutenir la Déclaration sur la sécurité alimentaire et la nutrition durant la pandémie de COVID‑19 publiée par l’Union africaine en avril 2020, en respectant leur engagement d’aplanir les obstacles qui perturbent l’approvisionnement de denrées alimentaires. 
  • Garantir la liberté de mouvement pour les transporteurs de nourriture et de fournitures humanitaires.
  • Exercer une coordination pour permettre que la nourriture et les biens essentiels soient transportés le long de corridors humanitaires transfrontaliers et à l’intérieur des pays.   

Les agences de l’ONU et les organisations humanitaires doivent :

  • Accentuer le recours aux livraisons multisectorielles de biens humanitaires parmi les agences de l’ONU et les autres groupes d’aide lorsque cela est possible, afin de réduire le nombre de personnes participant aux activités de livraison et le nombre de ces livraisons, de façon à réduire autant que possible les risques d’exposition à la COVID‑19 pour le personnel humanitaire et les gens qui reçoivent l’aide.  
  • Continuer d’étendre les réseaux de points de distribution d’aide en nature pour que les gens puissent recevoir les biens nécessaires rapidement tout en respectant les protocoles de distanciation sociale. 

Les gouvernements donateurs et les institutions doivent :

  • Offrir un financement à long terme flexible qui tient compte du fait que la pandémie de COVID‑19 et ses impacts seront de longue durée au Sahel. 
  • Fournir un financement additionnel au PAM, tant pour la sécurité alimentaire et les interventions relatives à la nutrition que pour la logistique et le travail du UNHAS. 
  • Augmenter le soutien financier au Plan de réponse humanitaire global COVID‑19 de l’ONU. 

Photo : PHOTO CAPTION: A man in a camp for internally displaced people in Bamako, Mali (Photo by MICHELE CATTANI / AFP).