Le Burkina Faso et le nouveau front du Sahel : Répondre à la crise de déplacement la plus rapide au monde

Sommaire

Le Burkina Faso est actuellement aux prises avec une crise de déplacements de populations parmi les plus rapides au monde. Le pays est devenu le plus récent épicentre du conflit qui sévit dans la région perturbée d’Afrique qu’est le Sahel. Autrefois connue pour l’harmonie et l’unité qui régnaient entre les groupes ethniques, religieux et linguistiques, la population du Burkina Faso est de plus en plus victime de feux croisés, alors que les groupes armés plongent le pays dans la violence. Les tensions intercommunautaires s’accentuent et le pays fait maintenant face à la première crise humanitaire de son histoire récente. 

Au cours des dernières années, un ensemble hétéroclite de groupes armés a fait des ravages partout au Sahel. Certains de ces groupes ont des liens avec le djihadisme transnational, tandis que d’autres sont de nature criminelle et enracinés dans une identité ethnique ou communautaire. Ensemble, ils exploitent les faiblesses des autorités étatiques, les revendications locales et les frontières poreuses. Plus récemment, ces groupes se sont répandus au Burkina Faso, particulièrement dans les régions du centre-nord, du Sahel et de l’est du pays, voisines du Mali et du Niger. Toutefois, la crise s’enracine depuis plusieurs années.

L’éviction en 2014 de l’ancien président Blaise Compaoré a créé un vide de pouvoir qui a permis aux groupes armés du Mali de pénétrer au Burkina Faso. Les djihadistes burkinabè et d’autres groupes d’insurgés se sont constitués depuis et ils prennent le contrôle de vastes portions du territoire. La violence s’est répandue dans les communautés à un rythme affolant. Au cours de l’année 2019, les combats ont forcé plus d’un demi-million de personnes à quitter leurs terres. Les gens ont été privés de leurs moyens d’existence, et l’insécurité alimentaire s’aggrave rapidement. Les groupes d’aide prévoient actuellement que 900 000 personnes pourraient être déplacées à l’intérieur du pays d’ici avril 2020.

Pour sa part, le gouvernement du Burkina Faso s’efforce de répondre aux besoins de sa population. La ministre de l’Action humanitaire est responsable de la réponse gouvernementale à la crise. Toutefois, les efforts nécessitent une coordination interministérielle plus efficace et plusieurs hauts responsables ne comprennent pas suffisamment les principes qui guident le travail des organisations humanitaires et n’y adhèrent pas. Dans certains cas, les frictions qui s’ensuivent entre les groupes humanitaires et le gouvernement ont retardé ou restreint l’aide apportée.  

Entre temps, les groupes d’aide ont été pris par surprise par la crise. L’ONU a réussi par la suite à mettre en place des mécanismes clés de coordination humanitaire, mais il y a plus à faire pour renforcer l’intervention. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) évalue actuellement à 295 millions $ les sommes nécessaires en 2020 pour l’assistance humanitaire aux personnes dans le besoin. Les donateurs vont devoir rapidement augmenter le financement. 

Avec le soutien des donateurs, l’ONU devrait intervenir rapidement pour accroître son action humanitaire, en déployant davantage de personnel qualifié et en renforçant les outils clés comme le Mécanisme de réponse rapide (RRMRM), qui génère une alerte et un plan de réponse commun aux groupes d’aide. De plus, les agences d’aide internationales devraient intensifier leur collaboration avec les groupes locaux qui connaissent les communautés et ont leur confiance. 

Les militaires burkinabè ont encore du mal à endiguer l’insécurité. En conséquence, les communautés ont formé des groupes d’autodéfense. Ces milices locales ont régulièrement des affrontements avec les insurgés et les éléments criminels, ce qui alimente le cycle de la violence. Dans un geste troublant, le gouvernement a modifié le Code pénal national pour interdire la critique des militaires et empêcher tout contact avec les groupes armés. La nouvelle loi, dont les modalités relatives aux contacts sont trop larges, a empêché les organisations de défense des droits de la personne de vérifier les nombreuses plaintes d’abus commis par les forces burkinabè et interdit aux organisations humanitaires de négocier avec les groupes armés pour obtenir l’accès aux populations dans le besoin. 

Les perspectives de paix au Burkina Faso vont dépendre en grande partie de l’évolution du conflit qui touche plus largement la région du Sahel. Le gouvernement du Burkina Faso devrait être félicité pour sa réponse à la crise. Toutefois, il faut aussi l’encourager à adopter une approche holistique visant les racines du conflit et répondant aux besoins de base de sa population. 

Recommandations

Le gouvernement du Burkina Faso doit prendre les mesures qui suivent :

Le président du Burkina Faso doit : 

  • Mandater le premier ministre pour qu’il dirige les efforts interministériels de réponse à la crise – la ministre de l’Action humanitaire n’a pas l’autorité nécessaire pour coordonner les ministères concernés. Seul le premier ministre est en position de mobiliser les efforts nécessaires de la part de l’ensemble du gouvernement pour répondre à la crise humanitaire. 
  • Modifier les récents changements apportés au Code pénal qui empêchent les groupes humanitaires d’avoir des contacts avec les groupes armés – la levée de ces restrictions permettra aux groupes humanitaires de négocier l’accès aux populations qui ont des besoins pressants. 

Les responsables burkinabè doivent :

  • Mettre fin aux restrictions qui empêchent le fonctionnement indépendant des organisations humanitaires – le gouvernement doit permettre aux groupes d’aide de travailler selon les principes humanitaires et aux organisations de fournir l’aide à tous ceux qui en ont besoin, et non uniquement à ceux qui se trouvent dans les « sites d’accueil » désignés par le gouvernement. 

Les agences de l’ONU et les organisations humanitaires doivent :

  • Renforcer le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) – OCHA doit renforcer ses équipes sur le terrain pour améliorer la coordination, assurer une meilleure couverture des régions affectées et améliorer la diffusion d’informations détaillées et récentes sur la crise. 
  • Établir des partenariats avec les réseaux de la société civile du Burkina Faso – le Burkina Faso possède un réseau dynamique de groupes de la société civile. Les organisations d’aide internationales devraient établir des partenariats et investir dans ces groupes pour améliorer leur portée et favoriser leur acceptation sur le plan local. 
  • Accentuer l’action du RRM partout au Burkina Faso – avec le soutien des donateurs, le RRM doit s’étendre à toutes les régions affectées afin d’informer la communauté humanitaire des nouveaux déplacements ou des besoins spécifiques qui apparaissent et orienter la réponse.

Les gouvernements donateurs doivent :

  • Inciter les responsables burkinabè à accorder aux organisations humanitaires l’accès inconditionnel aux populations qui ont besoin d’assistance – les gouvernements donateurs doivent utiliser leurs leviers diplomatiques pour encourager le gouvernement du Burkina Faso à mettre fin aux restrictions touchant l’accès des humanitaires aux populations dans le besoin. 
  • Renforcer les fonds humanitaires en proportion des besoins croissants – les donateurs doivent contribuer à lever les fonds de 295 millions $ qu’OCHA juge nécessaires pour faire face à l’aggravation de la situation. Les pays donateurs doivent aussi permettre aux organisations d’aide de transférer des fonds déjà attribués aux programmes de développement vers le soutien humanitaire d’urgence. 

Aperçu de la recherche

Une équipe de Refugees International a effectué son travail de terrain initial au Burkina Faso en septembre et octobre 2019, puis les consultations subséquentes à la fin de 2019. L’équipe cherchait à évaluer le démarrage de la réponse humanitaire à la crise croissante et l’efficacité de la coordination et de la mise en œuvre. Les membres de l’équipe ont mené des entrevues avec des représentants des agences d’aide de l’ONU, des ambassades étrangères et des organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales. 

Contexte

Depuis qu’il a obtenu son indépendance de la France, en 1960, le Burkina Faso a démontré un niveau impressionnant d’unité parmi les groupes ethniques, religieux et linguistiques. Toutefois, 27 années de gouvernance corrompue ont entraîné beaucoup de frustration à l’égard de l’ancien président Blaise Compaoré. En 2014, un soulèvement populaire a chassé Compaoré, mais cela a entraîné un vide du pouvoir qui a permis que des groupes militants du Mali entrent dans le pays, de sorte que l’épicentre de la violence associée à la crise du Sahel est passé du Mali et du Niger au Burkina Faso, forçant ce petit pays de l’ouest de l’Afrique à subir la première crise humanitaire de son histoire récente. 

Les djihadistes burkinabè, ainsi que d’autres groupes d’insurgés et des éléments criminels, sont apparus et se sont répandus partout dans le pays. Ils menacent maintenant la sécurité des voisins du sud du Burkina : le Ghana, le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire. Le Burkina a été secoué par la violence lorsque ces groupes armés ont exacerbé les tensions communautaires, en particulier dans les régions du centre-nord, du Sahel et de l’est, voisines du Mali et du Niger.

Quand la crise a éclaté, les groupes armés ont ciblé les institutions gouvernementales et les forces nationales de sécurité. Pour s’emparer du contrôle des communautés, ils ont eu recours à des tactiques brutales et ils ont instrumentalisé les griefs locaux liés à l’incapacité du gouvernement de fournir des services.[1] Pour leur part, les militaires burkinabè ont été incapables de rétablir la sécurité et d’empêcher les groupes armés de prendre le contrôle de zones clés dans les régions du nord et de l’est du pays. Par conséquent, les communautés ont formé des « groupes d’autodéfense » qui affrontent fréquemment les groupes armés dans des cycles de violence « œil pour œil, dent pour dent ». Les affrontements intercommunautaires, pratiquement inexistants dans le passé, sont maintenant fréquents et mortels.

La situation continue de se dégrader puisque toutes les parties au conflit, y compris les militaires burkinabè, ciblent de plus en plus les civils qu’ils perçoivent comme alliés ou sympathisants des groupes armés. La vitesse de propagation de la violence dans le pays a bouleversé même les humanitaires les plus aguerris. Un employé de haut niveau de l’ONU l’a exprimé ainsi dans une entrevue avec Refugees International : « Nous savions que la situation s’aggraverait, mais pas à une telle vitesse ». Depuis le début de 2018, plus de 2500 civils burkinabè sont morts. Entre janvier et mai 2019, le Burkina Faso a occupé le troisième rang au monde pour le nombre de victimes civiles, avec 670 décès. La Syrie et le Nigéria viennent au deuxième et au troisième rang.

Au début de décembre 2019, 95 centres de santé et 1784 écoles avaient dû fermer leurs portes à cause de la violence généralisée. L’insécurité a rapidement placé 1,5 million de personnes en situation de besoin pressant et forcé plus d’un demi-million de personnes à quitter leurs terres. En janvier 2019, il y avait 60 000 déplacés internes (PDI). Selon les données gouvernementales, ce nombre a atteint 560 000 en janvier 2020. En raison des contraintes d’accès et des capacités restreintes, ce chiffre est probablement inférieur à la réalité. Le Conseil norvégien pour les réfugiés croit que 900 000 personnes pourraient être déplacées d’ici avril 2020.

Avant la crise, le Burkina Faso jouissait d’un niveau relativement élevé d’autosuffisance agricole. Toutefois, la violence a affecté des zones surtout rurales, où l’on estime que 80 pour cent de la population dépend de l’agriculture comme source de revenus et d’alimentation. Les personnes déplacées à cause des combats ont été chassées de leurs terres et privées de leurs moyens de subsistance. Par conséquent, l’insécurité alimentaire s’aggrave rapidement. 

Le gouvernement et les agences d’aide se sont efforcés de réagir, mais dans l’ensemble, les efforts ont mis du temps à s’organiser. Les ministères gouvernementaux, les agences onusiennes et les ONG internationales ont tâché de mobiliser du personnel possédant l’expertise nécessaire et d’effectuer rapidement les évaluations. Cela dit, des progrès importants ont été réalisés au cours des derniers mois, tant par le gouvernement que par les organisations internationales de secours.

La réponse gouvernementale

À ce jour, les militaires burkinabè n’ont pas réussi à confronter efficacement les groupes armés. Malheureusement, dans ses efforts pour contrer les incursions armées, les forces armées ont commencé à violer les droits de la personne, souvent en toute impunité. De nombreux rapports signalent que les forces burkinabè ont tué indifféremment des civils.[2] Dans certains cas, le gouvernement a entamé des enquêtes sur ces abus. Toutefois, les travailleurs humanitaires rapportent que les violations continuent et que les responsables demeurent impunis. Un responsable de l’ONU a indiqué à Refugees International que les humanitaires rencontrent un nombre croissance de PDI qui ont fui leurs régions par crainte des forces burkinabè, et non en raison de la menace des groupes armés. 

Dans un geste troublant, l’Assemblée nationale du Burkina Faso a adopté en 2019 une loi qui modifie le Code pénal du pays. Parmi les modifications, on trouve de nouveaux articles qui interdisent « la démoralisation » des forces burkinabè et tout contact avec des groupes armés. En pratique, l’article interdisant la démoralisation des forces nationales a empêché les groupes de défense des droits de la personne de dénoncer le comportement des militaires. L’article interdisant les contacts avec les groupes armés empêche les acteurs humanitaires de négocier avec ces groupes l’accès aux zones affectées. Le gouvernement du Burkina Faso devrait modifier cette loi. Un amendement permettrait aux groupes humanitaires d’accéder aux populations qui ont grandement besoin d’assistance et de faire rapport sur le respect des droits de la personne. 

Partout dans le pays, des milices d’autodéfense se sont formées pour protéger les communautés. Selon les évaluations de l’ONU[17], il existe actuellement quelque 40 000 groupes burkinabè d’autodéfense, connus sous le nom de Koglweogo, qui signifie « gardiens de la brousse ». Les organisations humanitaires ont indiqué à Refugees International que certains Koglweogo sont connus pour leurs attaques visant les civils qu’ils associent à tort aux groupes extrémistes. Ce mois-ci, le parlement burkinabè a voté un soutien à ces groupes sous forme de formation et d’appui financier. Bien que la formation des Koglweogo puisse améliorer leurs tactiques, le gouvernement burkinabè n’est sans doute pas en mesure d’assurer la surveillance adéquate de leurs activités et de les tenir responsables de leurs méfaits. 

Aide aux citoyens dans le besoin

Le gouvernement continue de prendre des mesures pour endiguer la crise humanitaire causée par le conflit. Actuellement, la ministre de l’Action humanitaire du Burkina Faso dirige la coordination des efforts gouvernementaux. Le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR), relevant du ministère de la Solidarité nationale et de l’Action humanitaire, est chargé de recueillir les données officielles sur le nombre de PDI dans chaque région et de mettre en œuvre l’intervention du gouvernement. 

Toutefois, la coordination interministérielle demeure défaillante. Il n’y a pas d’organe unique habilité à superviser le travail des autres ministères, y compris les ministères responsables de la santé, de l’éducation, de l’eau et de l’assainissement, qui ont tous un rôle essentiel à jouer. Par conséquent, le président Roch Marc Christian Kaboré devrait confier au premier ministre Christophe Joseph Marie Dabiré la responsabilité de gérer et de coordonner l’ensemble des efforts nationaux, notamment ceux des ministres chargés de répondre aux besoins humanitaires des populations touchées par la violence.   

Durant des décennies, le Burkina Faso a profité de vastes programmes de développement internationaux, facilités par la coordination étroite entre l’ONU, les ONG et le gouvernement. Cependant, lorsque la crise a éclaté, ce passé d’étroite coopération semble avoir compliqué le passage à une réponse humanitaire indépendante. En effet, dès le début de la crise, le gouvernement a voulu que tous les fonds d’assistance soient canalisés par ses ministères et autres institutions publiques. Les organisations humanitaires internationales ont résisté à cette demande. Les frictions ainsi occasionnées ont ralenti la réponse initiale. Plutôt que de se concentrer sur les efforts de secours, les acteurs humanitaires ont été forcés de consacrer du temps au dialogue et à l’établissement de relations de confiance avec les responsables gouvernementaux. Ils ont cherché à expliquer l’importance d’une intervention conforme aux principes, en particulier pour obtenir l’accès aux zones contrôlées par les groupes armés. 

S’il est vrai que les gouvernements pourraient et devraient souvent prendre la responsabilité de l’assistance au développement, leur rôle dans la prestation d’aide humanitaire peut être particulièrement compliqué dans un contexte de conflit. Pour faire en sorte que l’aide rejoigne ceux qui en ont le plus besoin, il est essentiel que les groupes humanitaires adhèrent aux principes humanitaires en demeurant neutres et en agissant indépendamment du gouvernement. Malheureusement, le gouvernement du Burkina Faso n’a pas bien accueilli ce changement d’approche, préférant conserver la maîtrise des mesures d’assistance. 

Les responsables gouvernementaux devraient accepter que les principes humanitaires déterminent la façon dont les organisations d’aide agissent. Ces organisations ont confié à l’équipe de Refugees Internationalqu’elles déploraient que le gouvernement permette la prestation de services seulement aux communautés déplacées installées dans les sites d’accueil officiellement désignés. Cette liste de sites restreint l’accès aux communautés nouvellement déplacées qui ne sont pas encore réinstallées, ainsi qu’à celles qui ont cherché refuge dans des sites non reconnus par le gouvernement. On peut citer l’exemple de nombreuses écoles de la capitale Ouagadougou, où plusieurs PDI ont trouvé refuge alors que les écoles étaient inoccupées durant l’été de 2019. Dans la campagne contrôlée par le gouvernement, plusieurs écoles ont été ajoutées à la liste des sites d’accueil officiels. Toutefois, aucune école de la capitale ne figure sur cette liste, de sorte que les PDI qui s’y trouvent ne peuvent recevoir de l’aide. Le gouvernement doit abolir ces restrictions touchant l’accès aux populations.  

Alors que la crise s’étend rapidement au Burkina Faso, le CONASUR s’efforce de mettre à jour les données et d’atteindre les régions nouvellement affectées. Les lacunes de financement et de capacité font en sorte que le CONASUR doit recueillir les données manuellement, et non par des moyens numériques, ce qui diminue sa capacité de remplir son mandat. Pour régler ce problème, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) soutient le CONASUR en offrant de l’expertise et du financement pour renforcer ses capacités. Ce partenariat est essentiel pour aider le CONASUR à recueillir des données à jour sur la crise et à étendre sa couverture géographique. L’UNHCR devrait maintenir, et si possible accentuer son soutien pour renforcer la capacité du CONASUR en lui fournissant la technologie nécessaire et en rendant possible sa présence dans toutes les régions touchées accessibles. Un travailleur humanitaire a expliqué à l’équipe de Refugees International que « jusqu’à ce que la capacité et les compétences du CONASUR s’améliorent, plusieurs personnes déplacées n’apparaîtront pas sur le radar et demeureront hors de portée des organisations d’aide ». 

De plus, le CONASUR a tenté d’empêcher les organisations humanitaires de mener des exercices de surveillance de la protection dans les sites d’accueil désignés officiellement. Le gouvernement prétend que la protection et la surveillance sont de son ressort, mais à ce jour, il ne s’en est pas acquitté. Refugees International salue et encourage le gouvernement du Burkina Faso qui joue un rôle important dans la réponse à la crise. Toutefois, ce gouvernement ne doit pas empêcher les efforts des organisations humanitaires pour combler les lacunes de cette réponse. En fait, le gouvernement devrait accueillir l’intervention des organisations qui tentent de surveiller, d’enregistrer et de contrer les manquements en matière de protection, y compris les violations des droits et la violence sexuelle et fondée sur le genre signalées par les PDI.

Les problèmes de croissance d’une nouvelle réponse humanitaire

Comme on l’a déjà mentionné, le développement rapide de la crise a pris par surprise plusieurs organisations d’aide. Alors que le conflit s’aggravait, les agences onusiennes et les ONG ont sonné l’alarme, mobilisé du personnel qualifié et tâché d’attirer plus d’attention et de financement de la part de la communauté internationale. Malgré ces efforts, les activités d’aide et le financement des donateurs n’ont pas suivi le rythme d’augmentation des besoins humanitaires. Un haut représentant de l’ONU a confié à Refugees Internationalque les donateurs internationaux ont tardé à réagir parce qu’ils ne croyaient pas que le Burkina, connu pour sa stabilité, puisse tomber dans la violence armée qui sévit dans une grande partie du Sahel.

La nécessité d’une coordination et d’un leadership plus forts de la part de l’ONU

Le retard de l’ONU, qui a mis en place officiellement un système de cluster seulement à la mi‑décembre 2019, a aussi compromis la réponse. Cette structure est responsable de coordonner les interventions de l’ONU et des organisations humanitaires non onusiennes dans les différents secteurs. 

Au Burkina Faso, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), un joueur clé dans la coordination humanitaire, manque de financement et de personnel, et il est absent de certaines régions affectées. Ces limites ont des répercussions sur la capacité d’OCHA de diriger la coordination et le partage d’information entre les groupes humanitaires ou de publier des mises à jour sur la crise aussi souvent qu’il le faudrait. Le renforcement d’OCHA dans les régions affectées aiderait les organisations à assurer une meilleure couverture et à améliorer la diffusion d’informations détaillées et à jour sur la nature et la portée de la crise humanitaire. 

Un autre élément crucial de l’architecture humanitaire réside dans le rôle du coordonnateur humanitaire de l’ONU (CH) dans le pays. Dans le contexte de développement qui caractérisait le Burkina Faso avant la crise, les efforts de l’ONU étaient dirigés et coordonnés par le coordonnateur résident (CR). Dans les grandes crises humanitaires, l’ONU désigne habituellement un CH dont la responsabilité est de « diriger et coordonner les efforts des organisations humanitaires (onusiennes et non onusiennes) … ». Dans de nombreux cas, le CR en place est désigné pour porter les deux chapeaux, soit coordonnateur humanitaire et coordonnateur résident. Au Burkina Faso, le Secrétaire général de l’ONU a adopté ce modèle, nommant le CR au poste de CH. Cet accroissement des responsabilités a renforcé la surveillance des efforts humanitaires et la coordination. Étant donné la lenteur du gouvernement à accepter les principes humanitaires, cette personne portant le double chapeau de CH et de CR doit s’efforcer de faire évoluer la relation existante avec le gouvernement et d’établir un équilibre entre la coopération requise pour les programmes de développement et l’indépendance et la neutralité nécessaires à une réponse humanitaire efficace. 

Optimiser la réponse

Durant l’année qui vient, le conflit va probablement faire augmenter le nombre de personnes ayant besoin d’assistance humanitaire. Pour se préparer à cette situation, les organisations d’aide internationales doivent tirer parti de leurs relations locales et de leur expertise. Les forts réseaux de la société civile du Burkina Faso, qu’il s’agisse des défenseurs des droits de la personne ou des groupes voués au développement, sont désireux de réorienter leurs efforts pour atténuer les problèmes humanitaires. Plusieurs de ces organisations sont bien établies et jouissent de la confiance de leurs communautés. 

Les donateurs internationaux et les groupes d’aide ont beaucoup à gagner en établissant des partenariats avec la société civile du pays. De tels partenariats permettent de fournir de l’aide dans un contexte de consultation et de coordination avec les communautés locales, de maintenir ou d’augmenter l’emploi local et d’aplanir les difficultés liées à l’établissement de liens de confiance avec les communautés dans le besoin. De plus, la présence de groupes d’aide locaux dans les régions affectées serait extrêmement utile pour créer un système d’alerte composé d’un réseau d’organisations nationales et internationales, afin de partager l’information sur les nouveaux affrontements, les tendances de déplacement et les besoins urgents. 

Toutefois, ces ONG nationales doivent être formées aux principes, normes et stratégies humanitaires pour négocier avec les groupes armés l’accès aux communautés dans le besoin. L’équipe de Refugees International a rencontré des représentants de 30 ONG locales ; elles avaient toutes accès aux communautés éloignées et elles étaient désireuses de participer aux efforts d’aide. Cependant, les représentants de seulement cinq ONG avaient une connaissance des principes humanitaires. 

De plus, à mesure qu’un système de clusters prend forme, chaque cluster doit réunir et répertorier les acteurs disposant de la capacité, de l’accès et des moyens de répondre aux besoins urgents par secteur. Ce processus permettra aux clusters d’établir des plans d’urgence et de réagir rapidement lorsque les besoins apparaîtront. Les ONG locales doivent faire partie de cet exercice. L’information devrait être incorporée à la carte « 3W » traditionnellement utilisée par les groupes humanitaires pour indiquer qui fait quoi, et où. 

Comme dans plusieurs contextes humanitaires, le mécanisme de réponse rapide (RRM) au Burkina Faso, dirigé conjointement par les ONG humanitaires et les agences de l’ONU, mise sur le système de clusters pour aider les groupes d’aide à mettre en place des systèmes et des partenariats permettant de répondre de façon rapide, coordonnée et normalisée. Le RRM alerte la communauté humanitaire des nouveaux déplacements ou de l’apparition de besoins spécifiques, et aide à orienter et coordonner la réponse. Le RRM au Burkina Faso n’est pas encore opérationnel dans toutes les régions touchées. Les donateurs devraient financer en priorité l’augmentation de la couverture du RRM. 

Intervention internationale

Les intervenants internationaux clés commencent à s’intéresser à la crise au Burkina Faso. Toutefois, la nature et la portée du conflit sont mal comprises, tout comme les parties impliquées. Une première démarche sera de déterminer les principaux facteurs de la violence. Les États‑Unis, l’Union européenne, la France et le Royaume-Uni doivent mieux comprendre les motifs, les ambitions et les divers modus operandi des groupes armés au Burkina Faso, et plus généralement au Sahel. À mesure que ces intervenants internationaux clés élaboreront leurs approches concernant les menaces à la sécurité, ils devront garder à l’esprit qu’il est essentiel, pour rétablir la paix, de répondre aux besoins humanitaires.

Le gouvernement du Burkina Faso a la responsabilité de protéger sa population et de lui offrir les services de base. Les représentants des intervenants internationaux et les responsables de l’ONU devraient profiter de leur influence pour aborder les responsables burkinabè, en saluant les efforts consentis pour régler la crise, mais aussi en les encourageant à permettre aux groupes humanitaires d’avoir accès aux populations dans le besoin. 

Alors que la violence se répand dans les régions du Burkina Faso, les donateurs doivent continuer d’accentuer le financement humanitaire en fonction des besoins croissants. Ils devraient aussi se montrer flexibles en réaffectant des fonds précédemment destinés au développement pour les consacrer au soutien humanitaire. Cela permettrait aux organisations dont les projets de développement ont été interrompus par la violence d’utiliser leurs fonds pour s’occuper des problèmes immédiats des communautés. 

Conclusion

Les perspectives de paix au Burkina Faso sont étroitement liées aux tendances et aux événements dans l’ensemble du Sahel. Il n’y a pas de solution purement militaire au conflit qui sévit dans la région. Les donateurs et les organisations d’aide doivent aborder la crise régionale en offrant aux citoyens du Burkina Faso, du Niger et du Mali le soutien nécessaire à la protection et à l’assistance. En réagissant à l’instabilité et à la violence au Burkina Faso, la communauté internationale devrait reconnaître les mesures importantes prises jusqu’ici par le gouvernement du pays. Toutefois, la communauté internationale devrait aussi encourager les responsables à améliorer leur rôle dans la réponse humanitaire et leurs relations avec les intervenants. Les donateurs doivent aller de l’avant et contribuer, car le manque de financement menace de ralentir cette réponse. Enfin, les agences de l’ONU et les organisations d’aide doivent en priorité s’efforcer d’établir des relations avec les groupes locaux et leur donner la capacité de répondre aux besoins de leurs communautés.  


Endnotes

[1] Human Rights Watch, « Nous avons retrouvé leurs corps plus tard ce jour-là ». 

[2] Human Rights Watch, « Nous avons retrouvé leurs corps plus tard ce jour-là ».

[3] Comité contre la torture du HCDH, « Le Comité contre la torture s’inquiète des allégations… »